– J’ai l’impression que tu te lèves de plus en plus tôt chaque jour, dit Ash en étouffant un long bâillement.
Quentin haussa les épaules. Il était assis près de la fenêtre de la cuisine, en train de lire les nouvelles, comme il le faisait tous les matins.
– Il n’y a plus de café, l’informa-t-il.
– Oh ? Ca sent bon pourtant.
– C’était la dernière tasse, dit-il en prenant une longue gorgée de son mug.
Merci, pensa-t-elle. Plus une goutte dans la cafetière, plus un grain dans la boîte.
– Je dois filer. A ce soir.
Il posa sa tasse dans l’évier, lui effleura la joue. Ash voulut le prendre dans ses bras mais il était déjà à la porte. Le courant d’air lorsqu’il l’ouvrit la fit frissonner.
– Rappelle-toi de passer chez le caviste, dit-elle.
Il fit signe qu’il l’avait entendue et ferma derrière lui. Elle ouvrit un placard, en contempla le contenu avec une grimace.
Biscottes ou céréales ?
Pas de café, c’était la parfaite excuse pour s’arrêter prendre une tasse au Moulin, où le cappuccino était à tomber et leurs pâtisseries, délicieusement hors de prix.
Requinquée à l’idée, Ash fila prendre sa douche. Le monde était pourtant contre elle ce matin-là. Elle faillit déraper sur le tapis détrempé, rata son eyeliner, mit trois fois trop de blush et peina à rectifier le tir. Elle trouva la robe qu’elle voulait mettre dans le fond du panier à linge sale et dut se rabattre sur une tenue plus classique. Pour montrer qu’elle avait fait un effort, elle sortit de leur boîte ses bottines imprimées léopard. Elles lui avaient valu une fortune mais elle avait justifié l’achat à un Quentin médusé par le prix grâce à deux mots magiques. Jimmy. Choo.
– Vous allez me réduire les pieds en bouillie, soupira-t-elle en se regardant dans le miroir. Je vous pardonne.
Elle partit d’un bon pas vers la bouche de métro la plus proche, emmitouflée dans son écharpe pour se protéger du crachin. Ils étaient presque en juin, quand est-ce que l’été allait enfin pointer le bout de son nez ? Elle fit semblant de ne pas voir le regard lubrique que lui lança le monsieur du banc cassé, un homme âgé qui passait le plus clair de sa journée assis au même endroit, et ce malgré les planches manquantes, puis pressa le pas pour avoir son métro. Elle descendit une station avant son arrêt, dépassa un groupe de touristes, s’écarta in extremis de la course d’un homme d’affaire qui hurlait au téléphone et poussa enfin la porte du Moulin.
Elle inspira l’arôme caféiné et soupira de bonheur. L’ambiance feutrée, le gris des murs et les touches de pastel, tout débordait de douceur et de bon goût. Le personnel était toujours calme et souriant, même quand il y avait la queue. Ash inspecta les pâtisseries alignées dans la vitrine, l’œil gourmand. Elle avait envie de prendre le cheesecake mais elle était déjà en retard. Elle ne pourrait pas s’asseoir pour le manger et vu le prix de la part, elle voudrait en profiter jusqu’à la dernière miette.
– Bienvenue au Moulin, qu’est-ce qui vous ferait plaisir aujourd’hui ?
La jeune femme lui adressa un sourire qui révéla deux fossettes. Ash se demandait chaque fois qu’elle venait si les employés étaient vraiment forcés d’inclure le nom du café dans toutes leurs phrases. Elle était à deux doigts de lui poser la question, mais se ravisa juste à temps.
– Une brioche cœur chocolat et un grand cappuccino à emporter.
Plus raisonnable que le cheesecake. A la caisse, elle fit de son mieux pour régler sans voir le prix et en attendant son café, alla faire un tour du côté d’Instagram. Quoi de neuf ? Une recette de cookies, une photo floue dans un bar, un bébé, la nouvelle décoration de la cuisine de sa collègue Nikkie, une amie d’enfance qui venait d’acheter une maison avec son mec, Marie-Lou avait l’air d’avoir encore pris du poids – bien fait, quelle sale…
– Et votre café, bonne journée et à bientôt au Moulin.
Ash la remercia, rangea son téléphone et ressortit dans l’agitation parisienne, cette fois armée pour l’affronter. Elle dévora la brioche mais tenait encore son cappuccino entre les mains lorsqu’elle poussa la porte de son travail. L’entrée donnait sur un espace ouvert constellé de canapés rouges et de fauteuils designs. Elle badgea, s’engagea dans le grand escalier et grimaça en montant les marches – ses bottines commençaient déjà leurs effets destructeurs.
Le premier étage était tout aussi ouvert et plus vaste encore, avec un puits de lumière qui illuminait les longues tables et les « coins confort ». Ash alla s’asseoir à son endroit habituel près de la fenêtre, en face de Nikkie et près du reste de son équipe, tous déjà absorbés par leurs écrans. Heureusement, Agnès, sa chef, n’était nulle part en vue.
– Tu es en retard, remarqua Nikkie alors qu’Ash s’empressait de brancher son ordinateur, guettant l’arrivée d’Agnès.
Quel sens de l’observation.
– Bonjour à toi aussi, Nicole, des nouvelles de Noir Mouton ?
Elle se renfrogna et haussa les épaules comme si elle ne connaissait pas la réponse. Nikkie était la spécialiste en « branding » de l’équipe. Elle s’occupait de l’image de marque de la boîte et en étendait les principes jusqu’à sa vie personnelle. Tout en elle était délibéré, de sa personnalité faussement amicale jusqu’à la marque de la tasse posée sur son bureau impeccable, en passant, bien sûr, par son prénom. Nikkie était moderne. « Saint Trop, New York, Miami, » avait-elle déclaré une fois où elle avait abusé du rosé. Nicole, par contre, ne collait pas à ce personnage. « Trop tatie, pas sexy. »
Ash pouvait comprendre l’envie de changer son prénom. Ses propres parents n’avaient pas été inspirés à l’heure de la nommer et « Ash » faisait partie de son soi plus branché, plus parisien, moins banlieue.
Elle ouvrit sa boîte mail. Pas de nouvelles de Noir Mouton, le client dont elle était responsable. Mauvais signe. Elle savait qu’elle n’avait pas fait un travail spectaculaire sur ce compte et leur silence ne faisait que renforcer son inquiétude. Elle décrocha le téléphone.
– Nathalie ? Bonjour, c’est Ash de la Clef, comment vas-tu ?
– Ash, bonjour, j’allais te faire un mail. On est débordés ici et je n’ai pas eu le temps de te faire un retour.
– Je comprends bien. Pas de soucis sur la proposition, alors ?
– On va se réunir avec mes collègues pour en discuter dans quelques minutes. Je te tiens au courant, d’accord ?
Ash n’était pas certaine d’aimer cette réponse mais ne savait trop quoi faire d’autre que d’approuver. Elle était consultante en gestion de ressources humaines à la Clef depuis bientôt trois ans. Les deux premières années avaient été excitantes. Elle avait adoré travailler avec de petites entreprises qui avaient besoin de leur expertise pour que leurs salariés parviennent à se réaliser pleinement. Ce dernier compte, pourtant, lui avait donné du fil à retordre et elle n’était pas tout à fait sûre de savoir pourquoi.
Elle répondit à quelques mails, ouvrit le nouveau dossier sur lequel elle était en train de travailler et eut les plus grandes peines à se concentrer dessus. Mauvaise gestion de son personnel, problèmes de communication internes et salariés à des postes qui ne leur convenaient pas. Le tableau habituel. Elle était certaine que Laura allait adorer en entendre parler. Elles avaient rendez-vous le soir même dans son nouvel appartement, où elle venait d’emménager avec son copain, l’homme le plus ennuyeux de tous les temps mais qui, pour une raison obscure, semblait la rendre heureuse. Ash avait prévu de préparer une tarte et elle devrait faire attention à ne pas sortir trop tard pour avoir le temps de la laisser refroidir. Elle espérait que Quentin n’oublierait pas le vin. Il oubliait toujours de passer chez le caviste. Ils avaient encore une bouteille en cas de besoin, mais elle aurait préféré… Le dossier. Concentration, s’il vous plait. Elle devait préparer sa visite de la semaine suivante.
– Ash, un mot.
Agnès venait d’apparaître au bout de la table, vêtue de son éternel jean, t-shirt, veste. Ash se leva, ignora Nikkie, dont les yeux brillaient de curiosité et la suivit, agrippée à son cappuccino déjà bien tiède comme s’il s’agissait d’une ligne de vie.
Agnès était une entrepreneuse née. Dotée d’un esprit pratique à toute épreuve, aventureuse, intelligente et empathique, elle avait posé les premières pierres de ce qu’elle espérait devenir un empire de consulting en ressources humaines. Elle était pour Ash une source d’inspiration sans faille et en tant que telle, la rendait nerveuse au possible.
Elle l’entraîna jusque dans une des capsules de silence, où les réunions pouvaient prendre place sans déranger les autres dans l’open-space. Étrange. Lorsqu’elle n’avait qu’un mot à dire, Agnès préférait toujours les canapés près de la machine à café.
– Ferme la porte et assieds-toi. Je préfère te le dire tout de suite, les nouvelles ne sont pas bonnes.
La suiiiite ! 😀 ❤
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La semaine prochaine ☺️
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De l’avantage de lire à retardement, je file dévorer la suite !
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