Le multiculturel, celui qu’on aime et celui qu’on dénigre

« Expérience de travail en milieu multiculturel« , voilà une phrase que j’ai vue dans un nombre croissant d’offres d’emplois et qui figure fièrement sur mon CV.

Car travailler, et même tout simplement vivre avec des personnes de cultures différentes, c’est une expérience, un apprentissage. Au contact de personnes ayant des nationalités différentes, l’on apprend à toujours avoir l’esprit ouvert, à essayer de comprendre le parcours de chacun pour ne pas juger des réactions et opinions uniquement à travers le spectre de notre propre culture. C’est une expérience toujours enrichissante, qui nous permet de relativiser, d’élargir nos perspectives et de voir le monde à travers des yeux nouveaux.

Pour témoigner de cette aptitude, le parcours privilégié, le graal sur le CV du jeune diplômé, c’est le semestre erasmus, ou bien l’année de césure, qui prouve que le candidat est curieux, aventureux, ouvert sur le monde. Il ou elle a voyagé, a probablement été amené à parler plus anglais que son confrère resté en France. Et bien sûr, ce candidat peut à présent raconter des histoires marquantes, parfois drôles, sur les situations que l’interculturalité peut engendrer.

Exemple : mon cher et tendre qui souhaite féliciter ma mère sur sa cuisine.
– C’est délicieux Aida ! Peut être un peu sale mais délicieux.
– Sale ? répond ma mère, énervée. J’ai passé trois heures à laver les légumes !
– Salé, Ivy, é, salé. Sale c’est autre chose.
Anecdote aussi intitulée : de l’art de faire bonne impression auprès de sa belle-mère.

Le multiculturel, j’y ai baigné bien avant de partir en erasmus. Je suis même née en plein dedans : mon père est français, ma mère mexicaine. Plus encore, j’ai grandi en banlieue parisienne et dans mes classes, tout au long de ma scolarité, il y a toujours eu une diversité sans pareille : algériens, marocains, tunisiens, camerounais, italiens, espagnols, portugais… quelques français A.O.C. aussi, bien sûr, mais surtout des mélanges.

Car nous sommes tous issus de mélanges, il suffit généralement de remonter quelques générations pour trouver un ancêtre étranger. Mais cela est un autre sujet.

Le sujet qui nous intéresse ici, c’est de voir que sur mon CV, je ne mentionne pas ce parcours de manière spécifique. Je ne mets pas en valeur le fait que j’ai grandi en banlieue, car j’ai vite compris que ce n’était pas un atout aux yeux des recruteurs ni des académiciens.

C’est surtout lorsque je suis arrivée en classe préparatoire littéraire dans un très bon lycée parisien que je me suis rendue compte que le périphérique n’était pas seulement une route, c’était un gouffre.

Pendant une « colle » d’histoire (entretien terrifiant avec un professeur, pendant lequel les étudiants sont censés faire preuve de l’étendue de leurs connaissances en répondant à des questions hardcore) :
– Ah, vous êtes le quota banlieue ? Voilà qui explique bien des choses. Vous savez, quand on sélectionne les dossiers, on fait trois tas : le tas diversité, pour les bons élèves qui nous arrivent des DOM TOM, le tas banlieue, c’est vous, pour les bons élèves de lycées difficiles et le tas de ceux qui nous intéressent vraiment, des élèves qui ont vraiment le niveau. Alors, je ne dis pas qu’il n’y a pas des bonnes surprises dans les deux autres tas, mais bon…
Clairement, je ne figurais pas parmi ces bonnes surprises.

Ou encore, pendant une colle de philosophie :
– Vous venez de quel lycée ? Comment ? Je ne connais pas. C’est où ? Ah. Ah d’accord. Oui, effectivement, vous partez avec un peu de retard. Mais vous arriverez peut être à le rattraper. On ne sait jamais.
Imaginer un regard bien condescendant.

Enfin, une conversation avec ma professeure d’espagnole :
– Ce texte, ce n’est pas vous qui l’avez rédigé. Ce n’est pas possible. Vous avez reçu de l’aide. Ou alors vous l’avez copié d’internet. Mais vous, toute seule, non, impossible.
En réalité, c’était bien moi qui l’avait écrit, donc l’insulte s’est transformée en compliment (¡victoria!).


J’ai conscience qu’opposer Paris/Banlieue est une vision simpliste et simplificatrice. Il existe des quartiers sensibles intra-muros et des villes richissimes en banlieue. De la même manière, Paris est une ville multiculturelle quelque soit l’endroit.

Dans le 7ème, là où je travaille actuellement, je croise des touristes tous les jours, des immigrés qui vivent en France depuis toujours ou seulement depuis quelques années. Là encore, beaucoup de nationalités, italiens, mexicains, brésiliens, américains… Mais bizarrement, dans ce quartier chic, cette diversité est plus belle. Aux yeux de la société, elle semble plus acceptable que celle que je retrouve le soir, après une heure et demie de transports.

Mais alors, pourquoi ne l’aime-t-on pas cette diversité là ?

Je n’ai pas vraiment de réponse, car la question est vaste. Voici quelques points auxquels j’ai pensé, mais je serais heureuse qu’ils soient complétés par vous, lecteurs.

  • l’argent : entre le 7ème et ma banlieue, il existe en moyenne une grande grande différence de pouvoir d’achat. Or, ce n’est pas nouveau, les sous, on aime. Les pauvres, moins, même quand c’est eux qui construisent nos maisons, les nettoient ou gardent nos enfants.
  • le côté communautaire : souvent vu à l’échelle des quartiers, cette tendance à se regrouper en fonction de ses origines. C’est commode, mais cela peut aussi créer un sentiment d’entre-soi, un effet îlot étranger dans un pays, qui en exclue certains et en intègre d’autres.
  • la colère réciproque : le gouvernement n’aime pas beaucoup les étrangers à en croire la manière dont les dossiers d’immigration sont traités. En parallèle ou en retour, des immigrés ou descendants d’immigrés, peuvent parfois témoigner de comportements dénigrants face à des symboles du vivre ensemble (c’est le syndrome du défonçage d’abris bus).
  • l’ignorance : il est facile de s’insurger contre « ceux qui débarquent et font direct une ribambelle de bébés pour toucher les allocs et avoir un appart », ça l’est moins lorsque l’on connaît les situations et histoires de chacun. De la même manière, il est facile de considérer la France comme un pays riche qui peut donner, sans percevoir que pour un invité, il est fondamental de respecter son hôte.
  • la peur identitaire : l’afflux d’étrangers menace la culture française, disent les uns, tout en s’extasiant face à l’Alhambra en Espagne. Mes enfants ont oublié d’où ils venaient, leurs valeurs, leurs traditions, disent les autres, effrayés de voir leurs petits adopter des traits culturels du pays où ils ont grandi.

Concrètement, que faire pour mettre en valeur la richesse culturelle de notre pays ? Changer de perspective peut être. Réfléchir avant de juger, surtout à l’heure de la phobie islamo-terroriste. Essayer de faire en sorte que tous se sentent bienvenus en France, qu’ils soient touristes, immigrés, réfugiés.

Ce simple geste à mon sens peut faire beaucoup de différence. Lorsque je suis arrivée au Brésil, les personnes que je rencontrais étaient presque toujours curieuses de ma culture, avaient envie d’en apprendre plus sur moi, sur ma langue. En retour, ils étaient heureux de me rendre la pareille, de m’enseigner le portugais, les expressions locales, de me faire goûter leurs spécialités. Et ce simple sentiment, d’être étrangère oui, mais une étrangère bienvenue, cela a transformé mon expérience, ma perspective sur le pays, sur ma place dans celui-ci.

J’espère ne pas l’oublier, car bercés par notre confort et par la peur de l’autre, nous avons vite fait de créer l’exclusion et de continuer à creuser le gouffre du périphérique.

5 commentaires sur “Le multiculturel, celui qu’on aime et celui qu’on dénigre

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  1. Salut,
    J’avais le même discours que toi quand je vivais en banlieue Parisienne. Une ville qui s’est malheureusement dégradée. Elle n’est plus multiculturelle puisque le français n’y est plus parlé.
    Tu dis que le gouvernement n’aime pas les étrangers ? A Paris, probablement. Mais les réfugiés, ils les fait héberger d’office par les villages.
    Je suis à 15km de la 1ere ville (du premier distributeur de billets devrais-je dire) et depuis 2 ou 3 ans, une famille de réfugiés est installée dans le centre du village (nous sommes à peine 900 ici). Un comité s’est créé dans le village pour payer le loyer, la télé+internet, des meubles… et s’organise aussi pour le transport.
    Sauf que le village, cette famille ne voulait pas y venir…. Et une grande majorité des villageois ne souhaitent pas les accueillir. Résultat ? Dans un village isolé de montagne en pleine période de chasse ?
    Tu sais, il y a un équilibre pour toute chose. Aujourd’hui, la France continue à accueillir des étrangers alors qu’il n’y a pas de travail, pas de sous si on croit notre Président……. alors les gens en ont marre et il faut un responsable…..vite montré du doigt. Malheureusement, ces gens ne sont pas à blâmer. Ils essaient de reconstruire une vie.
    Bref, c’est la merde 😉

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    1. Intéressant ! Tout groupe ou société a effectivement besoin d’un bouc émissaire, le « barbare » des grecs en soit. La question de l’immigration est vaste et a tendance à se faire plus épineuse encore en temps de crise. J’espère que nous – en tant que société – arriverons à nous rappeler de notre histoire : blâmer des populations pour les problèmes du monde n’apporte que la mort physique et morale.

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  2. J’avoue moi qui suis née d’un milieu « divers »/ »multiculturel » et y ait toujours vécu ça m’a toujours semblé aussi naturel que de respirer d’autant que comme toi je suis banlieusarde et mes amis et voisins sont principalement des gens maghrébins et noirs d’origine africaines pour la plupart musulmans, plus quelques asiatiques venus le plus souvent du Vietnam et quelques polonais, italiens, espagnols et portugais…en fait j’étais généralement la plus « gauloise » de la classe pendant mon parcours scolaire, donc entendre de plus en plus de gens dire qu’ils perçoivent cela comme une « compétence » me fait étrange aussi. Et comme toi j’ai halluciné sur l’ampleur du gouffre du périphérique en arrivant en prépa. Et encore j’étais dans une prépa de banlieue et je suis autiste donc il y a des différences de codes sociaux que j’ai jamais compris mais les gens qui venait de la bourgeoisie parisienne ou de la campagne ils donnaient l’impression de considérer notre lieu de vie et son « multiculturalisme » naturel comme un film d’horreur alors que c’est beaucoup des bobos qui adorent le multiculturalisme de façade. Moi j’étais de la case bonne surprise du fait de mes hautes connaissances notamment en histoire qui me faisait être numéro une tout le temps et on m’en félicitait sans arrêt mais…du jour où ils ont appris que je suis communiste (en plus alors j’étais dans un parti trotskiste)…mes résultats étaient les mêmes mais leur attitude envers moi n’était plus la même les compliments n’avaient plus la même chaleur, ils étaient de rigueur, figés, forcés…et après ça ose prétendre que ces endroits n’ont pas de dimension politique…sans compter le côté très lourd de toujours me rappeler que j’étais brillante pour une personne issue de…enfin vous voyez (sous entendu de la vile populace de banlieue) et sans compter les jugements ouvertement racistes et eugénistes chuchotés de dos… »comment c’est possible elle vient de… », « ah oui mais elle est blanche aussi ça change tout c’est pour ça on dit que c’est pas politiquement correct mais vous voyez c’est dans les gènes je l’ai toujours dit » (je suis pas blanche je suis juive abruti mais bon ça je pouvais pas me permettre de le dire mais tu imagines ce que pour une personne juive les « compliments » chuchotés dans le dos à ton eugéniste peuvent avoir de glaçant)…le tout en me sentant obligée pour avoir un avenir quel qu’il soit où je gagne des sous du fait de mon handicap qui rend cela difficile d’avoir autant l’air de ce qu’ils veulent que possible donc de me déchirer de mon vrai environnement de base culturellement ce qui est douloureux tout en se prenant les réflexions et regards méprisants de ceux parmi les banlieusards qui estiment que réussir ses études c’est trahir ses origines, regards assez condescendants d’ailleurs d’une autre façon eux aussi. Et puis la prof qui nous corrigeait nos dictées de langue en prépa avec des commentaires dégueulasse genre « zéro RSA », « 5 tu feras assistante maternelle », « neuf tu seras assistante sociale », « 14 toi t’as une chance de réussir à avoir un vrai métier »…euh arrêtez d’insulter mes parents madame mon père et au RSA et ma mère est assistante maternelle…malgré ma demande elle a jamais arrêté au prétexte que c’était une habitude « comique » et que ce serait « déshumaniser » le cours et sortir d’une routine à laquelle elle et la classe globalement étaient attachés et habitués. Voilà. Voilà. On devait être 5 sur 50 que ça gênait vraiment.
    Et puis sincèrement nos sociétés sont assez cosmopolites tout de même à quel point faut il vivre dans l’entre soi permanent pour trouver que c’est dur de cohabiter avec des gens d’autres cultures? C’est assez révélateur je trouve cette attitude de s’en faire une fierté dans certains milieux par rapport aux fermetures qui y règne encore malgré ces discours là. Erasmus c’est surtout pas donné et un privilège de classe d’ailleurs les seuls gens que j’ai connu qui l’avaient fait avaient tous des parents avec des métiers socialement prestigieux. En plus j’ai diverses origines, juives, corses et bretonnes notamment, et quand j’entends les gens qui ont ce genre de discours prôné un multiculturaliste « mondialisée »…qui ne parle que l’anglais (le plus souvent anglais commercial ni populaire ni littéraire) et sont parmi les pires promoteurs des guerres contre les langues régionales en voie de disparition au prétexte étrange que les parler ce serait « raciste » je m’interroge. Cela ressemble plus à de la volonté d’uniformiser les cultures sur un modèle unique global qu’à de véritables échanges culturels ce qui semble être leur politique.
    Sinon pour répondre à ta question ouais je crois que c’est aussi une question de sous avant tout effectivement, l’argent blanchit vraiment je crains bien. Et de pouvoir politique aussi c’est toujours pareil, « selon que vous soyez puissants ou misérables les jugements de la cour vous rendront blancs ou noirs » c’est ça qui se joue je pense. Le communautarisme de la banlieue oui mais des parisiens aussi. Comme disait la comique Shirley Soignon dans ce super sketch sur ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=1p4nKpF39WE toute la société est faite de communautarismes. La colère réciproque oui aussi. L’ignorance je suis d’accord. La peur identitaire pareil. Même si je pense que le racisme et la mentalité coloniale sont clairement présentes encore beaucoup et qu’on peut pas exiger des pauvres de banlieue d’y réagir de façon jugée respectable tout le temps vu que si on gueule pas et ne passe pas à la télé on a pas 36 moyens de voir nos problèmes pris en compte vu la dépolitisation croissante, c’est con mais c’est vrai. On obtient rien sans changer l’ordre social ce qui généralement implique de déranger cette si mal nommée « élite » parisienne bourgeoise et le plus souvent blanche à la mentalité bien souvent très rance. Voilà ce que j’en pense. Désolée pour le pavé. J’ai pas réussi à m’en empêcher parce que ton article m’a rappelé bien des souvenirs.

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    1. Quel commentaire riche ! J’hallucine de lire tes souvenirs de prépa. C’est vraiment un drôle de monde. Les commentaires de ta prof m’ont fait un peu vomir. Ma mère était aussi assistante maternelle et je reconnais bien là le discours méprisant que l’on retrouve souvent face à ces « petits » métiers, qui sont en réalité les plus indispensables. J’avais écouté un podcast sur les « bullshit jobs » (sur france inter, je crois, je mettrais le lien si je le retrouve) et ils disaient que c’étaient souvent les métiers les moins reconnus qui étaient pourtant ceux dont on ne pourrait pas se passer.

      Comme tu le disais, le communautarisme parisien existe tout à fait. J’avais été choquée en arrivant en prépa car lorsqu’on me demandait « tu viens d’où ? » et que je répondais « Paris, enfin Poissy, en banlieue », j’avais systématiquement droit à un « Ah bah t’es pas de Paris alors. ». A l’époque, ça m’énervait. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est parce que cela me faisait sentir exclue. Maintenant, j’en suis fière, et fière de réussir à le dire.

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