Deux étoiles mais pas d’étincelle

C’était l’un des événements de l’été, un moment historique, inoubliable. Une deuxième petite étoile brodée sur un maillot et un peuple qui se déchaîne.

Le sport ne m’a jamais fait vibrer. Les Jeux Olympiques, la Coupe du Monde, la Ligue des Champions, ou que sais-je encore, étaient autant d’événements dont tout le monde parlait mais qui n’étaient pour moi qu’un programme de plus à la télévision.

La première fois où j’ai senti la ferveur populaire, ce fut en 1998, date bénie par les dieux gaulois. J’avais alors 7 ans mais le souvenirs des célébrations reste impérissable. La deuxième fois fut au Brésil, pendant la Coupe du Monde de 2014. Je vivais alors là-bas et j’avais été impressionnée par l’importance que revêt le sport dans le pays du football. Les jours de match du Brésil furent décrétés fériés. J’ai annulé des cours faute d’élèves quand de grandes équipes s’affrontaient. La ville entière se couvrait de jaune et vert pour soutenir la Seleção et à chaque but marqué, l’éruption était sans pareille. Tout le monde hurlait, se levait de son siège, courrait dans tous les sens, s’embrassait, chantait. Surréel.
Et enfin, troisième moment de ferveur et le plus récent, il y a à peine quelques mois, 2018, victoire des Bleus à Paris. Je suis allée voir la demi finale dans un bar à côté des grands boulevards. Entourée d’amis et de supporters, je me suis sentie bien seule. Le monde rassemblé, le volume sonore, la température… A chaque fois que les Bleus se rapprochaient du but, je me bouchais les oreilles. A la mi temps, j’en étais à me passer des glaçons sur le corps pour me rafraîchir. A la soixantième minute, je n’avais qu’une envie : partir. Lorsqu’ils annoncèrent le temps supplémentaire, je crus défaillir. Une fois dans la rue, alors que les gens dansaient sur les bus, grimpaient aux feux rouges, agitaient des drapeaux bleu blanc rouge et chantaient la marseillaise, je me sentais paralysée.

Party Pooper

Je n’ai participé à aucun moment de la célébration, à part peut être quelques applaudissements après un but et une exclamation outragée face à une faute. Je me sentais étrangement honteuse de ce manque d’enthousiasme. J’avais l’impression d’être une grand-mère ou une sociologue qui observait l’élan patriotique que la victoire d’une équipe de foot pouvait susciter. Je ne cessais de me demander quel amour pour leur patrie les personnes qui m’entouraient devaient ressentir pour proclamer ainsi la victoire. Ou peut être était-ce le simple plaisir de faire la fête pour aucune autre raison que de faire la fête ? Pourtant, lorsque quelqu’un criait « qui ne saute pas n’est pas français », tout le monde se mettait à sauter avec entrain. Il y avait donc bien un caractère patriotique.

Le Larousse définit le patriotisme comme un « attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir ». Née et élevée en France, je ressens un réel attachement pour la langue, la culture, le patrimoine, la gastronomie (du moins dans une certaine mesure). J’ai vécu à l’étranger plusieurs années et je devenais invariablement « Frenchie » ou « la francesa » sans que cela ne me gêne.

Alors pourquoi étais-je ainsi mal à l’aise face à l’exaltation cocoricaine ?

“Au fond de tout patriotisme, il y a la guerre : voilà pourquoi je ne suis point patriote.”

Jules Renard, Journal

Les trois seuls éléments de réponse que j’ai à avancer sont les suivants :

J’ai l’impression que se réjouir ainsi d’une victoire crée forcément un sentiment de supériorité. C’est le principe des compétitions : un vainqueur et des perdants, qu’on suppose moins compétents ou moins chanceux que les autres. Alors peut être devrais-je me satisfaire de l’idée qu’en 2018, la France a été supérieure à toutes les autres équipes et méritait donc la victoire. « On est les champions. » Pourtant, affirmer ainsi la victoire d’un pays a pour moi un côté nationaliste aux relents belliqueux qui me fait plisser le nez, surtout quand la foule revêtue aux couleurs de la République entonne le fameux refrain « Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Marchons, marchons ! Qu’un sang impur… Abreuve nos sillons ! ».

– Plus encore, cela me renvoie aux contradictions d’un peuple qui déclame sa fierté d’avoir parmi ses rangs Mbappé, Matuidi ou Umtiti, puis se lamente du nombre d’étrangers accueillis en France. D’un peuple qui voit les joueurs comme des représentants de la République face au monde, mais se désintéresse des représentants que nous avons élus. D’un peuple qui pleure pour une victoire mais pas pour l’abandon de l’interdiction du glyphosate.

– Troisième explication, peut être la plus probable : je suis effectivement une grand mère, qui cherche trop à lire entre les lignes et s’exclame en contemplant la liesse « ah la jeunesse… » avant de retourner à son tricot. Ou alors, je ne comprends pas assez bien la puissance de l’engouement sportif.

Toujours est-il que la finale, je l’ai quand même regardée, mais confortablement assise dans mon canapé. En sirotant une tisane. Comme une grand mère.

 

 

Un article intéressant : Aux racines de l’identité nationale, Le Monde

Pour relire les paroles de notre hymne

Un commentaire sur “Deux étoiles mais pas d’étincelle

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  1. Et bien moi, j’ai adoré cette coupe du monde et j’ai vibré avec la foule (tout du moins autant que j’en étais capable) J’ai stressé pendant les 60 minutes qu’ont duré chaque match, j’ai crié de joie à chaque but, j’ai pris mes amis dans mes bras quand on a gagné (et tu noteras que je dis on alors que dans les faits, je n’ai rien gagné du tout) J’ai aimé cet engouement populaire, cet instant où on oublie toutes les querelles et les reproches et on est juste heureux tous ensemble. C’était fou de constater à quel point l’ambiance était bonne enfant sur les Champs Élysées le soir de la victoire.

    Pourtant, comme toi, les élans patriotiques me dérangent, je me refuse à chanter la marseillaise qui me met très mal à l’aise et quand quelqu’un hurle « Qui ne saute pas n’est pas français » j’ai envie de lui répondre selon un plan thèse, antithèse, synthèse pourquoi mon identité nationale ne devrait pas seulement s’exprimer dans ma capacité à m’élever du sol.

    Mais je suis très ambivalente parce que, même si j’en garde un véritable bon souvenir je ne peux m’empêcher de ressasser à quel point l’industrie du football est gangrénée par l’argent et je me trouve stupide de supporter des gens qui sont payés des millions pour jouer. Je ne crois pas que l’extrême richesse soit un but à atteindre, au contraire je la trouve indécente et dans le monde dont je rêve il n’y a pas tant d’inégalités entre les plus pauvres et les plus riches. Parfois j’ai le sentiment qu’ils doivent être bien contents les dirigeants qu’on oublie les injustices et les inégalités qui existent pour célébrer un sport et je me trouve idiote, j’ai l’impression de me faire embobiner.

    Et puis, j’ai décidé de vivre avec mes contradictions. D’être heureuse et fière que la France gagne alors que je ne suis pas heureuse ni fière ce que devient notre pays, d’avoir envie de regarder du foot alors que c’est une industrie qui me révolte et de chanter des chants de supporters en chœur, comportement on ne peut plus grégaire. Tant pis, ça dure un mois tous les 4 ans et peut-être que je me fais avoir, mais je passe un bon moment. Il me reste les 47 autres mois pour résister 😉

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