Dans la ville qui ne dort jamais, où les rêves deviennent réalité, l’absurde est parfois de mise
Assise dans un canapé en forme de bouche, à côté d’un faux gâteau recouvert de crème fouettée et de cerises, face à un mur si rouge qu’il est difficile de le regarder, quelques mots me viennent à l’esprit : « What the f…?? ».
Même le plafond est rouge. Mes pieds disparaissent à moitié dans l’épaisse moquette couleur crème qui recouvre le sol. Les pièces séparées par des rideaux en plastique m’évoquent plus un abattoir qu’une galerie.
Je reprends une gorgée de champagne. J’avais espéré qu’il y aurait des petits fours. Jeune stagiaire non rémunérée à New-York, les vernissages et autres événements sont des lieux privilégiés pour avoir une vie sociale et se restaurer à moindre frais.
Ma flûte vide, je pars en quête d’une deuxième. Je contourne un gâteau accroché au mur et avise un serveur. J’attrape une coupe au passage et m’arrête pour observer un tableau.
– Qu’en pensez-vous ?
Je découvre un jeune homme habillé en noir des pieds à la tête, qui porte un manteau usé et un bonnet en laine. Il a les yeux fixés sur le tableau et pendant un moment, je me demande si c’est à moi qu’il parle. Le couple le plus proche s’éloigne. Plus aucun doute, il attend une réponse de ma part.
– C’est…
Je ne peux pas exactement dire que je ne suis là que pour le champagne.
– C’est… intense, les traits forts, irréguliers.
Je m’éclaircis la gorge, mal à l’aise. Il ne dit rien.
– On ressent le… la colère de l’artiste, le contraste, le décalage d’une telle œuvre au milieu des autres. C’est mordant. C’est grinçant. Insolent.
Mais qu’est-ce que je raconte ? Il me lance un regard suspicieux.
– Moi j’y vois plutôt de la douceur, une certaine naïveté. Regarde ici, tu vois comme les couleurs se rencontrent ?
Je m’approche du point qu’il désigne et fais mine de comprendre à grand renfort de « ahum, oh, ha ». Mais je n’arrive pas à me concentrer sur ce qu’il dit car une femme emmitouflée dans un manteau en fourrure immaculée vient de nous dépasser. Elle tient une laisse au bout de laquelle marche d’un pas impérieux un grand caniche rose. Je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas exploser de rire.
L’amateur d’art doit sentir mon manque d’attention car lorsque je me tourne à nouveau vers lui, il a disparu. Je soupire de soulagement et reprend une gorgée de champagne, laissant mes yeux se promener sur la pièce. Des dizaines de personnes au style soigneusement dépareillé se pressent devant les œuvres. Combien sont ici parce qu’ils apprécient vraiment le travail de l’artiste ? Combien font semblant d’aimer pour se donner un air ? Pour pouvoir dire au bureau : « hier je suis allé voir une exposition extraordinaire, vraiment immanquable » ? Pour ne pas dire « hier je suis resté chez moi et j’ai regardé la télé » ? Pour pouvoir partager sur les réseaux sociaux et faire croire qu’on mène une vie palpitante ?
La dame au chien rose repasse en sens inverse et je m’étrangle derrière ma flûte. Mon amie me fait signe de la rejoindre.
– On s’en va, tu viens ? J’ai adoré !
Si génial ! J’ai tellement ri en si peu de lignes ! Et j’apprécie beaucoup la petite pique à la course à la hype qu’on mène sur les réseaux sociaux et qui me font hésiter à chaque nouvelle photo postée (pourquoi diable ai-je envie de vous montrer ce que je fais de ma vie ?) J’adore particulièrement ta plume quand elle est à la fois hilarante et mordante.
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