Paraître ou ne pas être

Ils font partie de notre quotidien, que nous les utilisions ou non. Devenus incontournables, les réseaux sociaux sont à la fois des sources de plaisir et d’angoisse, une image projetée et reflétée qui nous révèle en tant qu’individus et en tant que société.

Des outils pratiques

Presque toutes les entreprises ont au moins un site, de la multinationale au kébab du coin. De même, parmi nos amis et a fortiori ceux des générations y et z, peu ont fait le choix de ne pas apparaître sur les réseaux.

Critiqués, pointés du doigt pour leur caractère abrutissant, Instagram, Facebook, Twitter et autres Snapchat ont pourtant l’avantage d’être des outils pratiques.

Ils nous permettent de nous tenir au courant de la vie de nos ami(e)s en quelques secondes. Un like pour signifier que nous avons pris connaissance, un commentaire parfois et plus besoin de passer des heures au téléphone. C’est surtout utile lorsque les amis en question vivent loin et que nous n’avons pas l’occasion de les voir aussi souvent que nous le voudrions. J’ai une amie qui n’est sur aucun réseau social et j’ai un peu honte de l’admettre mais maintenir le contact après son départ en Australie a été compliqué.

Ils permettent d’être au courant des événements. Facebook en particulier m’avait été particulièrement utile pendant mes études pour savoir quand et où auraient lieu conférences, expositions et autres fêtes. Mon cher et tendre, qui n’a jamais pris l’habitude de consulter régulièrement les réseaux sociaux, est toujours le dernier au courant de la vie de sa faculté.

Ils nous donnent un point de vue privilégié sur la vie des célébrités qui nous intéressent. Exit les paparazzis et les magasines people. J’adore le fait de pouvoir suivre la vie et le travail de certaines personnes : Rachel Brathen (@yoga_girl), Somewhat RAD Yoga (@somewhat_rad), Margaux Motin (@margauxmotin), Chris Burkard (@chrisburkard), Marie Crayon (@marie_crayon), Lauren Singer (@trashisfortossers), mysmallpencil… De même, pour les dites célébrités, c’est un moyen de divulguer leur travail et de créer un lien avec leurs communautés. C’est exactement ce que je suis en train de faire ici, à ceci près que je ne suis une célébrité que le matin devant ma glace, lorsque ma brosse à dent se transforme en micro et le vrombissement du chauffe-eau en tonnerre d’applaudissement.

Ils nous donnent accès au beau, au satisfaisant, au divertissant. Petite porte qui s’ouvre dans une journée maussade, unetelle nous transporte aux Caraïbes, untel nous propose une recette qui remonte le moral, un dessin ou une vidéo stupide qui change les idées. Si cela en déprime certains (du moins selon de nombreuses études), cela en apaise d’autres (moi).

 

Peurs et insécurités face aux images projetées

Je fais surtout partie de ceux qu’on appelle les « utilisateurs passifs », mais cela n’a pas toujours été vrai. Adolescente, j’étais beaucoup plus active. En pleine construction identitaire, ils me permettaient d’affirmer mon appartenance à un groupe de paires, mes goûts, mes opinions. En vieillissant, j’ai eu tendance à préférer les groupes privés pour partager nouvelles et photos avec certains proches et non plus avec tous mes contacts. Mais alors, pourquoi ce pas en arrière ?

Les raisons évoquées par les personnes qui ont décidé de se retirer des réseaux sociaux sont souvent les suivantes :
– gêne à l’idée d’être pistés
– protection de sa réputation professionnelle
– impression de perdre du temps
– troubles anxieux voire dépressifs
– environnement digital négatif (trolls, bullying)
– fausseté des images projetées
Trump ajouterait peut-être : surabondance de fake news et d’articles sans fonds.

De mon côté, les raisons qui m’ont poussées à être moins présente se résument en trois syndromes : celui de ma-vie-n’est-pas-assez-intéressante, de j’ai-oublié-de-prendre-une-photo et de j’en-ai-pris-une-mais-j’ai-oublié-de-la-poster. Or au monde de l’immédiat et du partage instantané, poster son brunch du dimanche trois jours après avoir fini de le digérer, ce n’est pas trendy.

A cela s’ajoute un problème technique : je n’ai pas le sens de l’esthétique. J’ai une fois essayé de prendre une photo de ma tasse de thé et elle dépeignait la réalité d’une manière bien trop crue : ce n’était rien d’autre qu’un contenant rempli d’eau jaunâtre. Pas très instagrammable. Petit conseil de pro : lorsque la légende d’une photo peut à la fois être « Petit thé de l’après midi » et « J’ai pissé dans ma tasse, LOL », c’est qu’elle mérite de finir à la corbeille.

Je n’arrive pas à présenter ma vie comme une belle ligne droite faite d’obstacles surmontés. J’ai beau être fière de mon parcours atypique, il n’en est pas moins légèrement chaotique. Et les réseaux sociaux ont tendance à gommer les petits accros de la vie.

Sur Instagram et compagnie, on y mène notre plus belle vie, celle qui va impressionner, rendre envieux, faire rire, créer un sentiment. On y partage notre beau plat de ce midi mais pas la longue file d’attente ou l’addition trop salée. On y partage sa session de sport mais pas la contre session canapé-netflix-glace (la sainte trinité). On y poste une photo de son bébé heureux, mais pas de la nuit blanche qu’il nous a fait passer. Ce ne sont pas des temples d’honnêteté, n’en déplaise à Montesquieu.

« Il n’y a que trop de Narcisses dans le monde, de ces gens amoureux d’eux-mêmes. » Montesquieu, Eloge de la sincérité

Montesquieu s’étranglerait s’il pouvait aller faire un tour sur Instagram, haut temple de toutes choses superficielles.

Sophie Kinsella a écrit sur le sujet un roman des plus divertissants, My (Not So) Perfect Life. On y suit la vie de Katie, jeune londonienne dont le mur Instagram est loin de refléter les difficultés auxquelles elle fait face dans sa vie de tous les jours : vie sociale, financière, professionnelle… Rien n’est ce qu’il semble être.

 

Le reflet d’une société

Sommes-nous tous des Katie en puissance ? Comme le dit si bien Montesquieu, nous sommes des créatures transies d’amour-propre. Rien de surprenant alors, à ce que les réseaux traduisent cela. Ils sont des purs produits d’un besoin d’apparaître, d’exister sous son meilleur jour et d’affirmer son identité. Les réseaux sociaux ne sont rien de plus que ce que nous en faisons.

Je me demande ce que diront les historiens dans un millier d’année s’ils ont accès à ces plateformes. Quel regard porteront-ils sur nous occidentaux ?

De là où je me tiens, j’y vois le reflet des paradoxes d’une société du divertissement, qui revendique une liberté d’expression souvent noyée par le caractère normatif de la mondialisation.

Il suffit de voir ceux qui y sont mis en avant : les fameux « influenceurs », qui inspirent, dictent les tendances, partagent une vie qui fait rêver. Malgré la diversité des profils, ce sont toujours les mêmes éléments qui attirent les followers : un certain type de beauté, un mode de vie enviable, un talent particulier. Combien n’inspirent pas à avoir un compte qui ressemble au leur ? Car si notre compte y ressemble, alors notre vie aussi, non ? Non ?

Nous en revenons au mirage qui crée l’angoisse, à l’illusion entretenue d’une vie parfaite, lissée, aseptisée. Et j’ai peut être trop lu Montesquieu pour dépeindre ma vie autrement que telle qu’elle l’est vraiment : une bouillonnante pagaille qui n’a parfois rien de très esthétique.

Et c’est peut être un tort. Car qu’y a-t-il de plus intéressant que le chaos ?

 

 

En supplément :

Un article très intéressant de psychologies

http://www.psychologies.com/Culture/Ma-vie-numerique/Articles-et-Dossiers/Faut-il-se-retirer-des-reseaux-sociaux

Et un autre sur « l’happycratie » et l’injonction du bonheur

http://www.slate.fr/story/166196/societe-happycratie-bonheur-developpement-personnel-pensee-positive

 

3 commentaires sur “Paraître ou ne pas être

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  1. Je suis à deux doigts de mettre l’extrait suivant en description instagram : « Petit conseil de pro : lorsque la légende d’une photo peut à la fois être « Petit thé de l’après midi » et « J’ai pissé dans ma tasse, LOL », c’est qu’elle mérite de finir à la corbeille. »

    Et ton article m’a donné envie de me lancer un défi instagram, moi qui suis toujours gênée à l’idée de poster des photos mais qui le fait quand même (et qui bien sûr ne poste que les plus belles) J’ai envie, pendant 21 jours, de ne poster que des photos « de la vraie » vie (de l’après séance de sport, puante, affalée dans le canapé devant Netflix #my notsoperfectlife) Je me lance bientôt :p

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